Cette photo représente ma famille de cœur et aujourd’hui cette famille est en deuil. Je ne parle pas au nom de nous tous car la peine de chacun est différente et que je ne peux m’exprimer que pour moi. Sur cette photo il en manque, comme toujours. Mais au centre, un peu caché par les bras de Julien qui se croit à un concert de rock (c’est vrai que niveau ambiance on en était pas loin), il y a Philippe, presque caché. Avec ses petites lunettes rondes et sa bouille d’éternel gamin. Il était là, malgré 4 années de cancer qui lui collaient aux basques. Ces dernières années il allait et venait entre deux siestes. Mais on savait qu’il veillait à tout. Il menaçait même de démissionner à tout bout de champ s’il n’était pas satisfait de la programmation ! Après tout, il était notre Président depuis 2011 et en grand amateur de BD on ne pouvait pas lui imposer n’importe quoi.
Philippe avait fini par me convaincre qu’il était increvable tant son optimisme était contagieux. Alors, je ne l’ai pas vraiment vu partir ces derniers mois parce qu’il nous rendait visite toutes les semaines malgré tout. Il y a quelques jours il nous a dit au revoir sereinement, nous confiant ce festival qu’il aimait tant, l’air serein de la relève déjà entamée en janvier quand il a passé le relais à Antoine. Et puis Philippe est mort hier, mardi 19 novembre 2019, alors que je venais de sortir des cartons le nouvel album de Catherine Meurisse sur lequel il se serait rué.
Philippe était un petit bonhomme bondissant, toujours en quête de lectures, de découvertes et de frayeurs à nous faire quand il surgissait en aboyant dans la librairie. Il prenait un malin plaisir à tourner sournoisement autour des poteaux pour ne pas se faire voir. Si l’un de nous l’apercevait, il nous disait toujours « chut! », pour essayer de piéger quelqu’un d’autre dans notre équipe.
C’était son truc : aboyer, essayer de nous choper les mollets et réciter du Desproges. Mais ce que je l’ai le plus entendu dire toutes ces années c’est « J’t’emmerde ! » Non pas qu’il aimait m’emmerder spécialement, c’était destiné à tout le monde et plutôt bon enfant. C’était sa provocation préférée. Ça surprenait parfois les clients de l’entendre nous crier ça. On était un peu gênés, obligés de justifier que le monsieur qui aboie n’était pas méchant.
Philippe n’emmerdera plus personne.
Il était aussi capable de s’agenouiller pour me remercier d’un conseil de lecture qui l’avait particulièrement touché. Et ça aucun autre client ne l’a jamais fait. Philippe était un être unique en son genre. Je crois que ce jour-là il était bouleversé d’avoir lu La légèreté de Catherine Meurisse (oui, encore elle.)
C’est une perte immense qu’on a bien du mal à réaliser à SEVRIER BD. J’ai l’impression que c’est un papa qui s’en va.
Il m’a tant fait rire et je pleure tout autant sa disparition aujourd’hui.
Quel sacré personnage c’était ce Philippe Pointet !
Gaëlle